• Egalité

    Un article d'Alain LEDAIN

    Introduction

    Selon Alexis de Tocqueville, la passion pour l’égalité est une marque des pays démocratiques et l’article 1er de la déclaration universelle des Droits de l’Homme affirme solennellement : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits… »

    Alors qu’en avril 2012, j’écrivais un article intitulé « Liberté », le premier mot de la devise de notre pays, aujourd’hui j’aborde l’« Egalité » en tentant de répondre, du moins partiellement, à ces deux questions : « Que nous en dit la Bible ? » et « Comment est-elle perçue et vécue en ce début de XXIème siècle ? »

    L’égalité au plan biblique

    L’être humain a été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu (Gn 1 : 26). Ainsi, étant tous descendants d’Adam, nous partageons une égale dignité, quels que soient notre qualité de vie, notre sexe, notre race, notre couleur de peau, notre nationalité, notre langue, notre caste et notre statut social. Selon Ep 6 : 9[1], devant Dieu, « il n'y a point d'acception de personnes » : ainsi, l’apôtre Paul établit-il l’égalité ontologique entre le maître et son esclave.

    Tous, nous bénéficions de l’amour et des bienfaits de Dieu : « En effet, il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes. » (Mt 5 : 45b) C’est en cela même que le Père céleste manifeste sa perfection (Mt 5 : 48)

    Mais tous les humains partagent aussi les conséquences du péché originel. Ils « sont tous sous la domination du péché » (Rm 3 : 9b), « tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu » (Rm 3 : 23), « la mort s'est étendue sur tous les hommes. » (Rm 5 : 12) Bienheureusement, il n’y a pas de différence entre les hommes : « Dieu déclare les hommes justes par leur foi en Jésus-Christ, et cela s'applique à tous ceux qui croient. » (Rm 3 : 22)

    Dans son épître aux Galates, l’apôtre Paul réaffirme l’ « égalité spirituelle » au-delà des différences humaines étant tous fils de Dieu par la foi en Jésus-Christ : « Il n'y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni libre, il n'y a plus ni homme ni femme ; car tous vous êtes un en Jésus Christ. » (Ga 3 : 28).

    Toutefois, l’égalité ici affirmée ne s’étend pas à l’appel de chacun. Nous n’avons pas tous la même vocation. Nous appartenons au même Corps, celui du Christ, mais nous n’y occupons pas tous la même fonction. « Si tout le corps était œil, où serait l'ouïe ? S'il était tout ouïe, où serait l'odorat ? » (1Co 12 : 17) Et Paul, de poser ces questions : « 29 Tous sont-ils apôtres ? Tous sont-ils prophètes ? Tous sont-ils docteurs ? 30 Tous ont-ils le don des miracles ? Tous ont-ils le don des guérisons ? Tous parlent-ils en langues ? Tous interprètent-ils ? » La réponse est évidemment négative. Il y a diversité de services et de dons mais une seule approche par excellence : l’amour !

    Et cette approche évite la jalousie des dons d’autrui (« la charité n'est point envieuse ») et l’orgueil des dons reçus (« la charité ne se vante point, elle ne s'enfle point d'orgueil » - 1Co 13 : 4) car, même si nous sommes égaux en valeur, nous n’avons pas le même vécu et les mêmes capacités. Ceci étant, nous sommes tous utiles (« 21 L'œil ne peut pas dire à la main : Je n'ai pas besoin de toi ; ni la tête dire aux pieds : Je n'ai pas besoin de vous. 22 Mais bien plutôt, les membres du corps qui paraissent être les plus faibles sont nécessaires… » - 1Co 12)

    Nous n’avons pas reçu les mêmes capacités physiques, les mêmes aptitudes intellectuelles ou morales, le même nombre de « talents »… ce qui peut paraître discriminatoire ! Selon les capacités de chacun, l’un a reçu cinq « talents », un autre deux, un autre un seul (Mt 25 : 15). Quel qu’en soit le nombre attribué, nous aurons à rendre compte de la manière dont nous les faisons fructifier. (Mt 25 : 19)

    Nous ne sommes pas tous semblables… et si nous nous pensons comme tels, alors nous déduirons que nous n’avons rien à nous donner, rien à échanger, rien à recevoir et nous nous enfermerons dans l’individualisme. Tout au contraire, ayons l’humilité de recevoir des autres et ayons la charité de partager nos bienfaits car nul n’est autosuffisant. Nous avons besoin les uns des autres et nos différences sont une richesse quant elles nous rendent complémentaires les uns des autres.

    Une courte parenthèse pour réaffirmer qu’aux plans social et économique, la justice de l’Evangile nous impose une action énergique face aux inégalités excessives car elles sont un scandale.

    L’égalité de nature n’est pas une égalité d’autorité.

    Dans la famille, les enfants n’ont pas les mêmes droits que les parents. Parallèlement, dans la famille de Dieu, chacun exerce une autorité dans la sphère et les limites que Dieu lui a fixées ; ce que ne semblaient pas avoir compris Marie et Aaron lorsqu’ils dirent : « Est-ce seulement par Moïse que l'Éternel parle ? N'est-ce pas aussi par nous qu'il parle ? » (Nb 12 : 2) Marie fut frappée de lèpre… (Nb 12 : 10)

    Quant aux situations…

    Dans la Bible, il n’y a pas égalité entre le bien et le mal, entre la vérité et le mensonge, entre le pur et l’impur, entre le saint et le profane[2] comme il n’y a pas égalité de tous les comportements et de toutes les situations. C’est pourquoi, nous devons faire preuve de discernement et nous devrons rendre compte de notre vie devant Dieu (He 4 : 13). (« Nous comparaîtrons tous devant le tribunal de Dieu » - Rm 14 : 10b)

    Faire preuve de discernement, ce n’est pas juger des personnes mais des actes[3]. Les actes n’ont pas tous la même valeur et nous ne pouvons pas nous y montrer indifférents ou avec une tolérance sans limite. « L’homme est un être doué d’intelligence et le premier acte de l’intelligence est de juger. Le commandement qui m’impose de ne pas juger [autrui] m’interdit seulement de me prononcer sur les intentions, sur la bonne ou la mauvaise volonté d’autrui. »[4]

    L’égalité dans la société

    Notre société est dominée par une passion pour l’égalité qui l’amène souvent à confondre égalité et égalitarisme en nous rendant semblables au lieu de nous rendre prochains les uns des autres.

    Selon Emmanuel MOUNIER, « Aucune communauté (nationale, associative, ecclésiale…) n'est possible dans un monde où il n'y a plus de prochain mais seulement des semblables qui ne se regardent pas. Chacun y vit dans une solitude et ignore la présence de l'autre : au plus appelle-t-il « ses amis » quelques doubles de lui-même, en qui il puisse se satisfaire et se rassurer. […]

    Pour construire une communauté, le premier pas est de prendre conscience de mon indifférence : indifférence aux autres parce que ma vie est indifférenciée de celle des autres. »[5]

    Nous avons un sérieux problème : nous en sommes à croire que toute différence est source de hiérarchie. Ainsi en est-il entre l’homme et la femme. Pour dénoncer le lien dominant/dominé, on supprime tout simplement la différence. D’où l’origine de la « théorie du genre ».

    La partie qui suit est une reprise partielle de l'article "Un virage vers la post-démocratie"

    Pourtant, nous devrions comprendre que l’égalité n’est pas une valeur positive quand elle signifie uniformité, conformisme, confusion, non-reconnaissance de la différence.

    Ainsi, Alexis de Tocqueville écrivait-il en 1840 : « Il y a des gens en Europe qui confondant les attributs divers des sexes, prétendent faire de l'homme et de la femme des êtres, non seulement égaux, mais semblables. Ils donnent à l'un comme à l'autre les mêmes fonctions, leur imposent les mêmes devoirs et leur accordent les mêmes droits ; ils les mêlent en toutes choses, travaux, plaisirs, affaires. »

    Ce texte est d’un prophétisme étonnant.

    Et Tocqueville de poursuivre : «  On peut aisément concevoir qu'en s'efforçant d'égaler ainsi un sexe à l'autre, on les dégrade tous les deux ; et que de ce mélange grossier des œuvres de la nature il ne saurait jamais sortir que des hommes faibles et des femmes déshonnêtes. »

    Des hommes faibles !... Voilà qui n’est pas sans faire penser aux « hommes mous », dont le  sociologue Walter Hollstein  estime qu’ils sont socialement frappés de stérilité, qu’il n’émane d’eux aucune énergie, aucune discussion, aucune vitalité, aucune innovation. [Voyez mon article " L’espérance, le courage et la colère – L’espérance nous oblige à ne pas rester silencieux."]

    Etant un homme, je laisse aux femmes le soin de préciser ce que sont femmes déshonnêtes.

    Comme je l’ai déjà écrit, il est compréhensible que les femmes réagissent à la violence des hommes, à leur discrimination, au machisme, à l’autoritarisme, au patriarcat… en résumé, à la domination de l’homme qui est, selon la Bible, une conséquence du péché (Gn 3 : 16). Il faut encore ajouter que la grande pauvreté « touche de plus en plus majoritairement des femmes contraintes d’assumer seules la charge d’une famille. Seules, à cause de la fragilité des unions et, il faut bien l’admettre, à cause de ce qui ressemble à un égoïsme mieux partagé par les hommes… » [6]

    Une profonde repentance doit se vivre chez l’homme, son comportement doit changer et c’est un des rôles de l’Eglise que de l’y amener.

    Aux vrais problèmes rencontrés par les femmes, il est apporté une fausse vision de la femme en l’affirmant, non pas égale, mais identique à l’homme. Les femmes en seront les premières victimes : on les incitera à devenir des « hommes manqués », après avoir été des « garçons manqués » auxquels on se sera crus obligés d’offrir des jeux de mécano dans leur jeune temps. L’humanité serait profondément perdante sans une véritable féminité. Aux femmes d’inventer leur style, leur vie en conformité avec leur vocation et leur nature. Si la femme est ontologiquement égale à l’homme, elle ne lui est pas semblable ; ce qui ne signifie pas qu’il y a des inférieurs et des supérieurs, des dominés et des dominants, des seigneurs et des subordonné(e)s !

    Pour conclure

    Dans son livre « 1984 », George Orwell décrit une société dominée par un terrifiant totalitarisme : l’Océania. Le Parti qui la dirige s’est fixé un idéal : créer une nation de fanatiques qui pensent les mêmes pensées[7], qui clament les mêmes slogans… des  millions d’êtres aux visages semblables

    Est-ce à cela que mènera la « passion pour l’égalité » ? On peut le craindre…

    Force est de constater que l’égalité est devenue une religion dont le plus grand péché est la discrimination. Ce dernier mot est souvent utilisé comme une arme pour donner à toutes sortes de situations et de comportements la même légitimité, pour dépasser toutes les limites y compris celles du désir et de la satisfaction. Ainsi tombe-t-on dans une permissivité générale et le retrait de tout jugement. Il faudrait pourtant se demander si toute discrimination est une injustice. Y a-t-il discrimination quand des personnes dans des situations différentes réclament des droits identiques ?

    Ne plus juger sous prétexte d’égalité est extrêmement dangereux. Dans un excellent article, Hubert Houliez écrit : L’homme qui pose un acte monstrueux – tel Eichmann - n’est pas toujours un homme mû par la méchanceté, c’est même bien souvent « seulement » un homme qui s’est abstenu de poser un jugement en conscience.

    A méditer…

    * * *

    Un dernier aspect…

    Je ne conçois pas l’égalité comme un nivellement des différences : il se fait toujours par le bas et fait passer de l’égalité à l’égalitarisme, de l’individu identifié à l’homme perdu dans la masse.

    Paradoxalement, l’égalitarisme crée aussi une élite très réduite. Autrement dit, croire en l’égalitarisme, c’est faire preuve d’angélisme quant à ses vertus et d’ultra-élitisme.

    Toute société a besoin d’élites : qu’elles soient intellectuelles, scientifiques, politiques ou économiques. Leurs conditions d’accès posent problème quand elles s’appuient, non sur les capacités de chacun, mais d’abord sur l’appartenance à une caste.

    L’égalitarisme aspire le plus grand nombre vers le bas et n’incite pas à l’excellence. Ainsi l’élite se restreint-elle et s’auto-reproduit-elle. Là est l’élitisme !

    L'école (je pense au collège particulièrement) contribue à cette reproduction des élites en tentant de faire rentrer les élèves dans un même moule.

    Nous devons travailler à ce que chacun soit encouragé à développer ses dons, quels qu’ils soient.

    Dans son livre « La ferme des animaux », George Orwell a mis en évidence l’échec d’une société égalitariste : des animaux s’emparent de leur ferme et créent un système philosophique qu’ils appellent l’Animalisme dont les principes sont réduits à sept commandements, le septième étant « Tous les animaux sont égaux ». Très rapidement les cochons, estimant veiller au bien de tous, s’octroient des privilèges. C’est ainsi que l’on verra le septième commandement devenir « Tous les animaux sont égaux, mais certains le sont plus que d’autres. »

     


    [1] Ep 6 : 9 : « Et vous, maîtres, agissez de même à leur égard, et abstenez-vous de menaces, sachant que leur maître et le vôtre est dans les cieux, et que devant lui il n'y a point d'acception de personnes. »

    [2] Ez 22 : 26 par exemple

    [3] Rm 14 : 4a : « Qui es-tu, toi qui juges un serviteur d'autrui ? »

    Rm 14 : 10 : « Mais toi, pourquoi juges-tu ton frère ? ou toi, pourquoi méprises-tu ton frère ? puisque nous comparaîtrons tous devant le tribunal de Dieu. »

    [4] Ce paragraphe est inspiré du texte d’Hubert Houliez : « Vivre en conscience (1) » disponible à l’adresse http://l.oiseau.sur.la.branche.over-blog.com/article-vivre-en-conscience-1-114738125.html

    [5] Manifeste du personnalisme, Emmanuel MOUNIER, p. 50

    [6] Paragraphe largement inspiré de l’article « Droits des femmes : chercher l’égalité, ou l’uniformité ? » publié à l’adresse http://www.fxbellamy.fr/blog/2012/12/01/egalite-ou-uniformite/

    [7] Voilà qui est à l’inverse de ce que pensait Winston Churchill : « Si deux hommes ont toujours la même opinion, l'un d'eux est de trop. »

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  • Commentaires

    1
    Jeudi 30 Mai 2013 à 09:40

    Ce petit com pour vous adresser mes encouragements. Je viens de lire ce texte et le trouve très équilibré. L'équilibre est une fonction difficile, ce n'est pas pour rien que le milieu d'une balance s'appelle le fléau. Le malheur aujourd'hui c'est que bien des enseignements ne reposent pas suffisamment sur la Parole de Dieu. On coupe la Parole en rondelles, on se permet de la censurer, en un mot : elle ne fait plus suffisamment autorité. On s'en sert pour prêcher, mais pas toujours pour servir le Dieu vivant et vrai. Pardonnez-moi d'être peut-être un peu dur dans mon jugement, mais je suis un peu attristé par ce que je vois et j'entends trop souvent.

    Bon courage frère !

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