• L'église, un corps source d'alternatives

    Un article d'Alain LEDAIN

    DocumentsLe consumérisme appelle à la fois une réponse individuelle et une réponse communautaire de l’Eglise. Nous, individus et corps de l’Eglise, nous pouvons nous engager dans quatre directions :

    1 – Par notre style de vie.

    Dans le livre « Vers un autre monde économique » (Editions Descartes et Cie, septembre 2009) , l’économiste Philippe Moati écrit : « Il est désormais acquis que le modèle de consommation occidental, surtout s’il doit se diffuser aux populations nombreuses des pays émergents, est intenable à moyen et long terme sur le plan environnemental. » Subir ou conduire le changement, telle est donc la question.

    Or, qui mieux que nous chrétiens, peut changer ? Subir, c’est être la queue ; conduire, c’est être la tête.

    Ne nous illusionnons pas : le changement de style de vie se produira nécessairement, ne serait ce qu’en raison du pic de pétrole, c’est-à-dire du moment où la production mondiale de pétrole plafonnera puis commencera à décliner du fait de l'épuisement des réserves exploitables.

    « Parmi les vingt-trois pays producteurs, quinze ont déjà atteint leur pic de production… » (Daniel Cohen – La prospérité du vice – Ed. Albin Michel © 2009) Les spécialistes les plus optimistes situent le pic pétrolier entre 2020 et 2040.

    Le pic pétrolier annonce un pétrole de plus en plus cher, la fin de l’énergie bon marché, la fin de l’aviation commerciale de masse, la fin de la croissance économique illimitée, la fin du productivisme industriel et donc la fin du type de société auquel nous sommes habitués.

    Selon Patrice De Plunkett aux « mardis des Bernardins » (Bien-être ou environnement : faut-il choisir ? Diffusé le 10/02/2009)

    Cette adaptation – plus vraisemblablement cette crise  –, allons-nous la vivre comme beaucoup d’autres : négativement et sans préparation, parce que cette préparation nous l’aurons remise au lendemain ?

    L’adaptation sera vécue comme une crise car la consommation (ou la croissance) est une drogue : elle crée une dépendance. « Le plaisir qu’elle procure est éphémère, mais le désespoir est immense quand on en est privé. » (Daniel Cohen – La prospérité du vice – Ed. Albin Michel © 2009)
    L’arrêt de consommation de l’héroïne crée, chez un sujet dépendant, un nez qui coule, des yeux larmoyants, des suées, des nausées, des brûlures, des crampes d’estomac, des diarrhées, des douleurs articulaires, des angoisses et des insomnies. (Source : http://www.vps.fgov.be/publications/publ49fr.pdf) Quelles seront les conséquences d’un arrêt de l’hyperconsommation pour nos sociétés ?

    Tout au contraire Il nous faut inventer, initier le changement… et c’est une chance pour nous de promouvoir de nouvelles manières de vivre ensemble fondées sur du sens, de sortir du « matérialisme mercantile  », de redéfinir ce qu’est une vie bonne, désirée, souhaitée, de donner de l’importance à la dimension relationnelle de la vie plutôt qu’aux conditions matérielles, de promouvoir l’être sur l’avoir  et, en église, d’entrer dans un « vivre ensemble » prophétique, inspirateur pour nos contemporains.
    (Selon Elena Lasida, économiste, chargée de mission à Justice et Paix, maître de conférence à la Faculté de Sciences Sociales et Economiques de l’Institut Catholique de Paris. Source : « Vivre autrement – Pour un développement durable et solidaire » - Semaines sociales de France – Editions Bayard © 2008)

    Une chance aussi de renouveler notre relation à la création et de nous repentir.

    C’est très volontairement que j’emploie ce verbe très fort : « se repentir ».

    Je m’explique : Dans les milieux protestants évangéliques, il me semble que nous sommes « enclins à réduire la notion de péché au sens individuel de la culpabilité ». Or, le péché comporte une dimension sociale du méfait et une dimension cosmique (péché environnemental).

    La foi évangélique – au sens dénominationnel du terme – est trop souvent individualiste (nous transposons à notre vie entière la réconciliation avec Dieu qui est un acte individuel) et parfois même matérialiste : « Avec Jésus, vous aurez encore plus et votre business prospérera ». Inutile d’écrire que l’auteur de ces lignes ne partage pas cette vision matérialiste de la vie.

    Je crois que le Seigneur peut bénir nos biens et nos finances mais jamais comme une fin en soi, jamais pour un cumul de richesses seulement pour soi !
    Dans la parabole du semeur, les ronces représentent entre autres les richesses (Luc 8 : 14). En viendrions-nous à demander des ronces dans notre vie ?

    Chrétiens, nous marchons à la suite de notre roi : Jésus ; un roi qui n’a pas revendiqué ses droits parce qu’il préférait (apporter) la vie ; un roi qui, de riche qu’il était, s’est fait pauvre afin que par sa pauvreté nous soyons enrichis . Et riches, nous le sommes en effet de Sa vie ; une vie porteuse de valeurs pour inventer des styles de vie aux dimensions plus fraternelles, « plus accueillantes aux potentialités créatrices de chacun » , plus durables, plus solidaires et plus généreuses.

    L’Histoire nous donne rendez-vous. Y sommes-nous absents ou indifférents ? Sommes-nous trop occupés pour y être attentifs ? Ce rendez-vous avec l’Histoire, ce « vivre autrement » à imaginer, n’est-il pas l’occasion de marcher plus humblement avec notre Dieu, de pratiquer davantage la justice et de renverser nos murs de séparation ?

    En France, il y aurait autour de 50 dénominations évangéliques et plus de 300 églises indépendantes. Il est temps d’abandonner nos querelles de clochers et d’entrer dans la dynamique du Royaume de Dieu.

    2 – En développant une pensée chrétienne.

    Qu’individuellement, nous secourions les personnes en détresse est une très bonne chose. De même, nous devons encourager l’engagement social de l’Eglise (secours des personnes en grande précarité, accompagnement des chômeurs, accueil de l’étranger, etc.). Cependant, ne devons-nous pas chercher à régler les détresses de manière plus large en s’attaquant à la racine des problèmes ?

    Si l’action sociale nécessite une formation, la bonne volonté ne suffisant généralement pas, l’action plus large, plus collective, plus générale, requiert une réflexion. C’est la raison pour laquelle des penseurs doivent se lever du milieu de nous, chrétiens évangéliques, pour proposer des alternatives au système économique et social actuel. Face au néo-libéralisme, que nous soyons mal équipés intellectuellement est une évidence.

    Dans une interview au Figaro, Sébastien Fath compare les évangéliques à un dinosaure: un grand corps et peu d’élites, et les Réformés à E.T., une grosse tête et presque pas de corps...

    Remarquez bien qu’il ne s’agit pas de passer d’un anti-intellectualisme superficiel à un hyper-intellectualisme desséchant : un juste milieu est à trouver.

    J’encourage les plus jeunes d’entre nous à se former, et les moins jeunes aussi ! Nous avons une grande responsabilité face à nos talents et l’intelligence en est un !

    3 – Par un engagement radical.

    Même si nous ne sommes pas tous appelés à ce type d’engagement, je dois y faire référence.

    Dès que l’on parle d’engagement radical, on peut penser au jeune homme riche et à l’interpellation que Jésus lui adresse : « Va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel. Puis viens, et suis-moi. » (Marc 10 : 21)

    En tout temps, le Seigneur a suscité des hommes et des femmes radicaux dans leur engagement.

    François d’Assise fut l’un deux . Il vécut au XIIIème siècle alors que l’économie prenait un essor sans précédent et bouleversait la société européenne. Le grand commerce s’éveillait, les activités bancaires, les transferts de fonds, le change et la vente à crédit apparaissaient.

    Dans ce contexte, François rompit avec toute propriété pour ne rien avoir à faire avec le maniement de l’argent. Sans vouloir imposer son style de vie à l’ensemble de la société, il lança le mouvement franciscain pour servir de témoin et de ferment.
    (Source : « L’écologie de la Bible à nos jours ». Patrice De Plunkett. Editions de l’œuvre. Pages 85 et suivantes.)

    Peut-être nous demandons-nous si le « risque » de l’engagement radical n’est pas l’extrémisme. Si tel est le cas, rappelons-nous de ce qu’écrivait Martin Luther King en 1963 dans sa « Lettre de la geôle de Birmingham » : « J'ai progressivement ressenti une certaine satisfaction d'être considéré comme un extrémiste. Jésus n'était-il pas un extrémiste de l'amour – « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, priez pour ceux qui vous maltraitent » ? Amos n'était-il pas un extrémiste de la justice – « Que le droit jaillisse comme les eaux et la justice comme un torrent intarissable » ? […] Aussi la question n'est-elle pas de savoir si nous voulons être des extrémistes, mais de savoir quelle sorte d'extrémistes nous voulons être. Serons-nous des extrémistes pour l'amour ou pour la haine? Serons-nous des extrémistes pour la préservation de l'injustice ou pour la cause de la justice ? […] »

    Nos sociétés occidentales sont extrémistes par leurs démesures : démesure consumériste, démesure dans le creusement des inégalités sociales, démesure dans les rapports à la nature, démesure entre économie financière et économie réelle… (Selon « Vers une société heureuse » – Leçon inaugurale 2009 – Patrick Viveret–  © 2009 Groupe ESA )   Y participons-nous ? Sommes-nous extrémistes par nos exhibitions, nos excitations, nos dépressions ? Quelle sorte d'extrémistes sommes-nous ?

    Oui, il y a des risques dans l’engagement radical ; risque entre autres de passer d’un mauvais extrémisme à un autre. Ceci étant, le mot « foi » ne s’orthographie-t-il pas « r-i-s-q-u-e » ?

    4 – Par des initiatives originales et la création d’espaces économiques alternatifs.

    Sans être exhaustif, voici quelques initiatives originales - nous en avons déjà citée quelques-unes - :

    • Noël autrement – Réchauffons nos cœurs – Ne prenons pas la terre pour une dinde ! (Site : http://www.noel-autrement.org/)

    • Les rebelles de Noël (Site : http://lesrebellesdenoel.ch/chfr/)

    • L’été autrement – Ne prenons pas la terre pour une gourde ! (Site : http://www.ete-autrement.org/)

    • La journée sans achats

    Exemple de créations d’espaces économiques alternatifs :

    • « L’Economie de Communion » (Site : http://edecfoco.free.fr/)

    • Les AMAP (site : http://www.reseau-amap.org/)

    • Le réseau Cocagne (Site : http://www.reseaucocagne.asso.fr/)

    Les Jardins de Cocagne sont des jardins maraîchers biologiques à vocation d'insertion sociale et professionnelle. A travers la production et la distribution de légumes biologiques, sous forme de paniers hebdomadaires, à des adhérents-consommateurs, ces Jardins permettent à des adultes en difficulté de retrouver un emploi et de (re)construire un projet personnel.

    "Acheter des produits de ces jardins permet à la fois de consommer des produits sains, bons et locaux, mais en plus de promouvoir un lieu de solidarité, de conditions de travail respectueuses des salariés, et de réel développement humain et écologique. Alors pourquoi se priver? En tant que citoyens, nous avons aussi la responsabilité de contribuer à la cohésion sociale et au bien commun. Alors, sans attendre qu’un homme providentiel parvienne à moraliser le capitalisme ou réformer la mondialisation, pourquoi ne pas orienter notre porte-monnaie vers une production socialement juste et écologiquement responsable ?"
    (Source : http://bloguequipeut.wordpress.com/2010/03/27/cocagne/)

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  • Commentaires

    1
    dani_
    Mercredi 24 Mars 2010 à 15:58

    Je souhaite t'encourager pour toutes ces choses que tu nous apprends si souvent et pour le message de ce dernier weekend. J'ai bien aimé le sujet que tu as abordé concernant la fin du pétrole qui va nous toucher. Ça fait un mois environ que je pense à ça aussi et les conséquences ne seront pas du tout joyeuses.
    Dieu te garde

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