• Relation et différenciation : deux clés pour se construire

    Un article d'Alain LEDAIN

    Mon précédent article avait pour thème "Construire notre identité en travaillant notre sanctification". Etant très dense, j'en reprends ici la première partie en la développant.

    * * *

    Commençons par une évidence si souvent oubliée : Nos avoirs, nos acquisitions matérielles (automobile, maison, mobile…) ne peuvent nous aider à déterminer notre identité. Notre valeur n’est pas fonction de la cylindrée de notre voiture ou de la superficie de notre logement. Pour paraphraser Elena LASIDA, La liberté et la joie ne nous sont pas données par la voiture, ni la beauté par les vêtements, ni le pouvoir par les chaussures, ni le prestige par la montre ! On peut réussir socialement et rater sa vie ou, pour l'exprimer différemment, perdre son âme. Notre être n’est pas défini par nos avoirs.

    Ce n’est évidemment pas le message délivré par la publicité qui tente de dicter ce qui est bon dans tous les domaines de l’existence… Ainsi, par le conformisme qu’elles engendrent, la publicité et les modes nous gênent dans le « devenir nous-mêmes ».

    A remarquer : Alors même que l’individualisme n’a jamais été autant revendiqué, le conformisme n’a jamais été aussi grand.

    Notre identité se construit dans et par notre relation avec l’Autre (c’est-à-dire avec notre prochain) et le « Tout Autre » (Dieu). C’est tout autant nos liens, nos appartenances – c’est-à-dire nos communautés : famille, église, nation, entreprise, association… – et nos engagements vis-à-vis d’autrui qui constituent notre identité que notre différence avec l’autre.

    Aujourd’hui, par individualisme exacerbé, on se méfie des liens et appartenances. Or, la liberté, ça n’est pas d’être sans lien ni appartenance ni relation mais c’est de les reconnaître ou de les choisir, de les assumer et d’arriver à dialoguer avec ceux qui ne les partagent pas.

    Un jour, quelqu'un m'a dit : « je veux être libre : je ne veux appartenir à aucun groupe. » Ce que j'affirme, c'est que ceux sont nos appartenances qui nous construisent, qui nous permettent de développer qui nous sommes. Personne ne peut se construire sans relation, sans lien avec les autres. Nous ne sommes pas appelés à l’autosuffisance mais à l’interdépendance. L’interdépendance ouvre la possibilité de nous enrichir mutuellement alors que l’autosuffisance nous enferme dans la solitude.

    Considérons l’estime de soi, si nécessaire à notre construction et dont beaucoup souffrent d’en être privés parce qu’ils vivent une époque de compétition, de performance, de concurrence, d’évaluation constante et tout en même temps, d’absence de projet, d’absence de désir, de peur paralysante et du sentiment d’impuissance. Beaucoup sont fatigués, en panne d’envie, enfermés dans une image extrêmement négative d’eux-mêmes suite au mépris de leur entourage, aux échecs scolaires, aux addictions diverses, aux comportements violents, à la dépréciation liée au chômage, à l’exclusion… La liste est sans doute trop longue pour être complètement écrite. « Il est plus facile que l’on ne croit de se haïr. » Comment sortir de cet « avis de dépression » ? Comment retrouver une juste estime de soi ?

    Relation et différenciation : deux clés pour se construirePaul Ricœur, philosophe de confession protestante, affirmait : « Pour être ‘ami de soi’, il faut être entré dans une relation d’amitié avec autrui. » Il faut donc sortir de nos individualismes, nous décentrer de nous-mêmes en nous ouvrant aux autres. Nous avons besoin du regard bienveillant d’un ami qui reconnaît nos capacités, les sollicite et les suscite. Nous avons besoin de sentir sa main encourageante sur notre épaule. Un ami discerne nos potentialités, nous aide à nous estimer justement et donc nous aide à se construire.

    Combien est douce la sollicitude d’un ami ! Toutefois, n’oublions pas que l’amitié est un lien qui se tisse, nécessite de l’investissement et du temps.

    Soyez des hommes et des femmes profondément relationnels et aimants !

    Réciproquement, comme aime l’écrire les mathématiciens, et parce qu’ « il y a plus de joie à donner qu’à recevoir » (Act. 20 : 35), si j’ai besoin d’un ami, je dois aussi être cet ami dont mon prochain a besoin. Ainsi, est-il est bon que je me pose ces questions : Est-ce qu’à mon contact, mes amis gagnent en estime d’eux-mêmes, en respect d’eux-mêmes ? Est-ce que je les aide à se construire ?

    Et même si je n’ai pas pris le temps de tisser des liens d’amitié, aujourd’hui ou demain je peux redonner le goût de vivre à travers une rencontre ; je peux humblement contribuer à sortir quelqu’un de la misère relationnelle et à lui redonner une sage estime de lui-même. Nul besoin d’être parfait pour cela.

    A l’inverse, je peux devenir meurtrier en méprisant et, dans le mépris de l’autre, me salir et nous détruire mutuellement.
    Mépriser son prochain, c’est se salir. En effet, Jésus enseigne que si je dis à mon frère : Insensé ! je suis passible de la géhenne du feu (Mt 5 : 22). Or le mot ‘géhenne’ vient du nom d’un ravin situé au sud-ouest de Jérusalem où l’on jetait les immondices de la ville pour les bruler. Lorsque je méprise mon prochain, je suis sale, passible de la décharge publique puis de l’incinérateur… 

    Pour autrui, je peux devenir passeur de vie ou passeur de mort, le construire ou le détruire. Que je choisisse la vie !

    ***

    Le Seigneur aussi nous construit dans la relation que nous entretenons avec Lui. C’est ce qu’illustre fort bien l’histoire de Gédéon rapportée dans le sixième chapitre du livre des Juges. Gédéon souffre d’un sentiment d’abandon de Dieu et d’un manque d’estime de lui-même. Il vit dans un climat d’oppression et de peur. Sa terre est régulièrement pillée par les ennemis Madianites. Il va affirmer : « Si l'Éternel est avec nous, pourquoi toutes ces choses nous sont-elles arrivées ? Et où sont tous ces prodiges que nos pères nous racontent ?... Maintenant l'Éternel nous abandonne, et il nous livre entre les mains de Madian ! » (Jg 6 : 13) et, très significativement, il répondra à l’ange de l’Eternel « Ma famille est la plus pauvre en Manassé, et je suis le plus petit dans la maison de mon père. » (Jg 6 : 15) Il a peu de considération pour lui-même.

    Et comment ne pas transposer en 2011 ? Comment ne pas écrire ce qui se trame dans des cœurs, ce qui se lit dans des regards ? « J’habite un pays – la France – qui n’occupe plus une place prépondérante sur la scène internationale. Dans ce pays, j’habite un département méprisé – le neuf-trois – dans une ville sans importance, au septième étage d’une tour anonyme. Dans mon église, je passe inaperçu(e). Où est ce Dieu qui suscita de puissants réveils et qui transforma ma nation ?... Je ne suis rien, je ne compte pour rien et tout ça, je le vaux bien ! » Mésestime profonde de soi. Il y a bien longtemps, un homme aurait pu communier à tant de peine : Gédéon. Son histoire ne s’est pourtant pas arrêtée à une si profonde tristesse car l’Eternel eut des propos étonnants vis-à-vis de lui : « L'Éternel est avec toi, vaillant héros ! » (Jg 6 : 12) « Va avec cette force que tu as… » (Jg 6 : 14)

    Il ne lui dit pas : « C’est vrai, tu n’arriveras à rien mon 'p’tit' Gédéon. Je vais t’écraser par ma toute-puissance et tu vas en prendre plein la vue. Aie foi et regarde ; je ferai tout à ta place »… ce qui n’aurait pas guéri Gédéon. Il lui donne une nouvelle image de lui-même : Gédéon est un vaillant héros, il ne le sait pas, et Dieu lui dit « Va avec cette force que tu as… ». Autrement dit : « Tu es capable. Va ! Je te fais confiance. » Et ce « Va » décisif le bougera, le mettra en route. Yahvé-Rapha, « l’Eternel qui guérit » s’est montré un excellent psychothérapeute pour Gédéon.

    Alors oui, notre relation avec Dieu nous construit, à la condition toutefois qu’elle se nourrisse d’une juste image de qui Il est : un Dieu d’amour, de tendresse et de respect. « Quel ami fidèle et tendre nous avons en Jésus-Christ ! »

    Notre identité, nous la construisons dans nos relations : avec Dieu évidemment, et avec les autres. Et quelle responsabilité nous partageons puisque nous sommes grandement responsables de la construction d’autrui ! « Qu’as-tu fait de ton frère ? »...

    ***

    D’une part, comme l’écrit fort bien Jeanne Farmer dans son livre « Je comme unique », « il est impossible de savoir qui nous sommes dans le vide, séparés de nos relations. » : « Sans toi, je suis incomplet et je ne sais pas qui je suis. »  Les relations sont essentielles à la construction de notre être et de notre identité. Il faut donc bien les choisir !

    D’autre part, c’est le vis-à-vis, le regard de l’Autre qui nous permet de construire et de découvrir qui nous sommes. La différence nous identifie. C’est parce que je suis différent des autres que « je suis qui je suis », que je me découvre singulier, unique, irremplaçable.

    Voici deux exemples qui illustrent l’identification par différenciation :

    Je sais que je suis un occidental porteur de la culture occidentale car, dans mon jeune temps, j’ai été au contact de la culture malienne. Vous pensez être porteur d’une culture universellement partagée ? Alors prenez l’avion et vivez quelques temps dans une culture traditionnelle africaine !

    Je sais que je suis un homme car il y a des femmes. Les hommes ne se définiraient pas comme tels si les femmes n’existaient pas. Entre elles et les hommes, il y a de nettes différences : la première est sexuelle. Mais ça ne s’arrête pas là, vous le savez : par exemple, les femmes sont généralement intuitives et les hommes plutôt rationnels.

    Allons encore plus loin : dans la relation qui nous unit, hommes et femmes, les hommes sont appelés à être davantage hommes et les femmes, à être davantage femmes. Nous construisons notre identité au sein de nos couples dans et par nos différences et pourtant, c’est ainsi que nous sommes toujours plus uns.

    Puisqu’elle nous identifie, est-ce bien de la différence dont nous devons avoir peur ? N’est-ce pas plutôt de la similitude ?

    Relation et différenciation sont les deux clés de la construction de nos personnes et de leur identité. Et par certains aspects, cette construction n'est jamais achevée : elle se réalise tout au long de la vie et alors que nous sommes en marche.

    Sources

    L'estime de soi - Revue Christus (Octobre 2011)

    Et en particulier les articles suivants :

    - Les contradictions de l'individualisme (Jean CARON)

    - "Va avec la force qui est en toi !" (Remi DE MAINDREVILLE)

     En savoir plus

     

     Le goût de l'autre - La crise, une chance pour réinventer le lien

    Lasida, Elena
    Albin Michel , Paris
    collection Documents
    Parution : février 2011

    L'auteur est économiste et enseignante à l'Institut Catholique de Paris. Portons un regard renouvelé sur l'économie, loin des attitudes fatalistes et matérialistes. Elena Lasida nous invite à analyser nos aspirations et nos comportements. Non, l'économie n'est pas que création de richesses ! Elle est lieu de rencontres et nous sommes conviés à dépasser dans nos actes d'acheteur la seule satisfaction de nos besoins. Ce sont des actes qui entrent dans une logique de construction de société, de création, d'interdépendance des personnes et de qualité de vie. Est-ce une utopie ? Elena Lasida nous rappelle qu'un jour Martin Luther King a dit "j'ai fait un rêve" et son rêve a changé l'histoire. Alors, il nous faut rêver d'un nouveau possible : une économie de liberté qui permette un a-venir meilleur au service de chaque homme. Un livre à découvrir, un livre à méditer, un livre à vivre pour redécouvrir "le goût de l'autre".

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  • Commentaires

    1
    benoitM
    Samedi 15 Octobre 2011 à 17:10

    Pour sortir de cet "avis de dépression" la lassitude et le raz le bol de cet état est déjà un bon commencement, de mon expérience personnel je sais qu'il peut être destructeur, mais réconcillier avec Dieu, il est un puissant ressort, qui donne grâce et nous permet de ne plus avoir envie de pleurer sur notre sort. Etre médiocre n'est pas un mal en soi, 85 % de la population mondiale l'est s'en doute. Mais vivre notre vie, pas la vivre en rêve, est une aventure exaltante, qui nous surprendra trés certainement et nous étonnera du bien que nous ferons aux autres et à soi (une autre façon d'entrer en relation).


    " En chemin l'homme ou la femme boit au torrent : C'est pourquoi il ou elle relève la tête." (Psaum110.7)


    Excuse le coté un peu "speed", mais je t'encourage car le thème n'est pas facile. Je ne serai pas présent le dernier dimanche du mois pour ta présentation, mais « Va avec cette force que tu as… "   Amitiés.

    2
    Matthew.T
    Dimanche 30 Octobre 2011 à 20:53

    EXCELLENT article je serai la dimanche prochain pour la suite mercii ! 

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