• Une civilisation en danger

    Un article d'Eric Lemaitre

    Avant-Propos

    Avec Alain LEDAIN, nous partageons sur nos réseaux sociaux nos inquiétudes sur les bouleversements sociétaux traversés par l’actuelle civilisation et parfois nos propos sont brocardés, parfois jugés comme fantasmatiques. Il y a quelques décennies de cela, Albert Camus partageait cette réflexion que nous reprenons tant elle s’inscrit aujourd’hui dans une fin de civilisation ou une civilisation en rupture avec ses valeurs passées…

     « Les générations qui nous précédent ont fait la civilisation, il incombe à la nôtre de l'empêcher de se défaire »…

    De quelle civilisation parlons-nous ? 

    La nôtre est celle qui donne la primauté à la famille, à la recherche du bien, valorisant la morale… Une civilisation d’hommes et de femmes ancrés sur les notions de Bien et de Mal sans les relativiser ; une civilisation qui s'affranchit de la barbarie,  qui se libère des systèmes d'oppression, d'esclavage… qui s’émancipe de la dépendance féodale ; une civilisation qui est attentive à ne pas faire souffrir, blesser, brimer.

    Cette civilisation du cœur trouve toute son inspiration, ses racines dans  la religion judéo-chrétienne.  

    Cette religion de la relation a indéniablement influé les rapports et les interactions entre les hommes en n’imposant aucun système, aucun royaume, mais en les influant, en modifiant les mentalités… Dans les trois premiers siècles après Jésus-Christ, le changement de civilisation s’est opéré à partir d’un changement de comportements, d’attitudes. Un souffle nouveau transportait alors les hommes dans une transformation qui se faisait, non par la loi mais par une conversion de cœur.

    Le christianisme a ainsi influé l'homme de l'intérieur et de l'intérieur de l’homme au plan social. Le judéo-christianisme dans sa singularité vis-à-vis de tous les systèmes de gouvernement ne se compare ainsi à aucun autre projet religieux, philosophique ou politique. Par capillarité, c’est toute une société qui s’est alors transformée instituant une autre façon de vivre le monde et d’échanger.   

    Les sources de la civilisation judéo-chrétienne

    Les valeurs fondatrices de la civilisation que l’on appelle judéo-chrétienne sont marquées indéniablement par ses valeurs autour de la famille et des relations sociales.

    Le Premier Testament nous révèle les origines de la civilisation sortant l’humanité du règne de l’esclavage et de la barbarie. Le devoir de charité sera le principe sociétal qui imprégnera les valeurs de cette jeune nation Israélite sortie d’Egypte, elle qui a été opprimée, honnie, humiliée, condamnée à la servitude…

    Soulignant l’apport de la civilisation hébraïque, John Adams 1735-1826, Président des Etats Unis d’Amérique  souligna qu’« En dépit de Voltaire, je soutiens que les Hébreux ont plus fait pour civiliser les hommes que toute autre nation. Si j’étais un athée, croyant en une fatalité éternellement aveugle, je croirais encore que la fatalité a prescrit aux Juifs d’être l’instrument essentiel pour civiliser les Nations. »

    Lorsqu’on parcourt le Premier Testament, d’emblée nous sommes également frappés par ces textes qui annoncent que Dieu graverait Sa loi dans les cœurs. C’est sans doute cette transformation intérieure de l’homme qui a marqué et influé les sociétés…

    Le Christianisme est ainsi à rebours d’une civilisation qui serait fondée sur la loi et qui viserait à façonner le monde par la force de la législation. Il a façonné la civilisation différemment en convertissant les cœurs.

    Il s’inscrit également sur des valeurs immuables, à l’inverse d’une civilisation qui légifère à l’aune de l’évolution de ses mœurs mettant de surcroit en péril les équilibres écologiques touchant le bien-être de l’humanité à travers le socle social de la famille.

    Dans une perspective biblique, la famille est ainsi l’essence même de la société. La famille possède une priorité intemporelle et universelle sur toute autre institution sociale. Dieu a d'abord créé Adam, puis d'Adam il a tiré Eve et ensemble dans un prolongement fécond ils ont enfanté. Toute la société puise ses racines dans cette relation du couple Homme et Femme.

    Les valeurs qui ont inspiré notre civilisation

    La civilisation inspirée par le Christianisme est ancrée dans la dimension de la morale, une morale qui n’est pas  sociale, mais une morale qui obéit à l’appel de la charité comme le soulignait le philosophe Bergson.

    Les civilisations tirent leur identité et leurs vertus des valeurs qu'elles ont su collectivement mettre en œuvre ou non.  Celles qui ont amené au plus haut la dignité, ont su adhérer au devoir de justice et d'humaniser les relations : Plus d'équité, de libertés, de fraternité… Sans nul doute le Christianisme a posé une empreinte en accentuant la dimension de la responsabilité de soi… Or tout concourt aujourd'hui à déstructurer la dimension de la responsabilité, de l'entraide, de la relation aux autres…

    Nous passons ainsi d'une civilisation ancrée sur les relations, les devoirs à une civilisation centrée sur les organisations désincarnées, les codifications, la loi à l’aune de l’évolution des mœurs sociales qui structurent et s'imposeront demain comme une tyrannie douce... une civilisation qui se construira sur un système plus coercitif… Le changement ne sera certes pas violent, mais on assistera à une forme de formatage des esprits. Aujourd’hui, les médias  s’avèrent être étrangement les relais d’une pensée dangereusement consensuelle, peu dénonciatrice des turpitudes des idéologies en cours qui condamnent ceux qui pensent différemment en regard de leurs convictions morales. C’est ainsi que sont lancées ces diatribes contre les religions opposées au « mariage pour tous », pointant leur obscurantisme. N’est-ce pas là le début d’une dénonciation des religions ?

    Le projet de loi concernant le « mariage pour tous » est une manière d’obliger, de contraindre la société, en décidant d’accélérer un processus de transformation, de la façonner en regard de l’évolution de ses mœurs. Le projet de loi n’est pas une simple évolution de la jurisprudence, elle sert un projet idéologique qui a pour objectif d’imposer de nouvelles grilles de lectures sur la famille en vidant la notion de famille de tout sens.

    La loi s’imposant, inévitablement elle structurera la civilisation en fabriquant de nouveaux concepts sur les rapports à engager dans la société.

    Or l’instauration du « mariage pour tous », non seulement déstructure la civilisation autour d’un homme et d’une femme, mais instaure nécessairement un autre ordre moral avec ses lois qui discrimineront ceux qui, dans leurs sphères, associations, églises… entendront promouvoir la seule famille fondée autour du père et de la mère. Cette loi crée ainsi une nouvelle éthique sociale postmoderniste abolissant nécessairement la dimension morale et ses valeurs. C’est l’ouverture d’une véritable boite de pandore augurant une véritable crise identitaire.

    Dans le prolongement de mon propos, je reprendrai celui du cardinal André Vingt-Trois qui illustre le glissement de cette civilisation dont la bascule est planifiée par ce projet de loi du ‘mariage pour tous’ : « Le bien commun n'est pas la somme des intérêts individuels, c'est le bien de la communauté toute entière, et seul le souci du bien commun peut venir arbitrer les conflits des droits individuels. La véritable question est alors de savoir si, dans l'intérêt du bien commun, une institution régie par la loi doit continuer à dire le lien entre conjugalité et procréation, le lien entre l'amour stable d'un homme et d'une femme et la naissance d'un enfant, pour rappeler à tous que la vie n'est pas un du, mais un don. »

    Ainsi le délitement des valeurs morales, fléau des nations, est annonciatrice des décadences des civilisations, est révélatrice de l’effondrement de leurs repères. C'est lorsqu'on ne croit plus en rien que de nouvelles barbaries s'inventeront et finiront par s'imposer à l'aune d'une société qui méprise ses racines et ses valeurs judéo-chrétiennes. Le nouveau monde sera-t-il ainsi celui de l’organisation scientifique par excellence, à l’instar des réflexions partagées par Aldous HUXLEY dans son fameux livre « Le meilleur des mondes » ?

    Certes le Christianisme n'a pas vocation à civiliser mais nous incarnons par nos valeurs, par nos pratiques, par notre sanctification, l'espérance féconde de la venue de Christ qui supplantera la civilisation à venir.

    L'incarnation de la foi à travers les pratiques et l'eschatologie comme l'espérance d'un royaume qui n'est pas ce monde, dominent tout ce que nous pensons de la civilisation et de l'idée qu'il faut se battre pour transmettre ce qu'elle a de meilleur (la relation avec les autres, la relation avec la famille, en incarnant l'amour, la justice et le pardon...)

    Nos propos sonnent comme la fin d’un monde. Ils expriment surtout une résistance vivante, douloureuse et l’espérance féconde pour que la civilisation à venir, que je pressens comme constructiviste, ne vienne cependant pas augurer d'une prochaine barbarie antichrétienne promouvant l'eugénisme, l'euthanasie, la liberté transgressive et sans frein des mœurs.

    Ainsi, une législation est sur le point de façonner une nouvelle définition de la famille, celle-ci ne devant plus constituer le noyau nucléaire et social de base, la communauté naturelle première sur laquelle la société toute entière s’élevait et fondant la civilisation. La loi votée à l’assemblée nationale veut imposer une autre lecture de la société. Comme l’avait « prophétisé » Aldous HUXLEY, la procréation artificielle qui s’est invitée dans les débats de l’assemblée nationale devrait permettre à la science de se substituer à la famille pour faire naître sans doute un jour, les humains en dehors du ventre de leur mère.

    Les collisions entre monde ancien et ordre nouveau…

    La mondialisation a un effet accélérateur sur la propagation des idéologies, sur les habitudes consuméristes. La liberté des mœurs vécues dans un pays comme les Etats-Unis  instaure de nouvelles problématiques et des désordres patents impactant les sociétés à sa périphérie.

    Ainsi un monde de porosités subissant les interactions de la mondialisation (la perversité de ce qui est permis ailleurs et qui nécessairement impacte notre modèle social) ne saurait pourtant être le prétexte d'accepter le délitement des vertus de la morale – dans son acceptation la plus noble bien entendu. Je crois à la dimension universelle du Bien comme à sa dimension totalement intemporelle, à la dimension du Bien incarné comme une condition nécessaire de la transformation de la société de l’intérieur...

    Or il me semble qu'aujourd'hui la tentative est de redéfinir la morale en regard de l'évolution des normes sociales, de relativiser la dimension du Bien et d'appeler mal ce qui est BIEN et bien ce qui est MAL. Employer le terme « éthique » comme un substitut du terme « morale » (qui va si bien à cette société NOVLANGUE selon George ORWELL) relève tout simplement de l'imposture...

    C'est vrai que ces discours ont une dimension "incantatoire" mais nous croyons à la valeur, à la morale comme des principes au-dessus de la norme et de l'évolution des mœurs, comme une condition nécessaire, comme la vertu cardinale et fondamentale des équilibres écologiques et du lien social.

    Demain, les dimensions morales des sociétés leur éviteront d'être chahutées en regard des désordres anthropiques introduits par une pensée totalitaire et égalitaire. Par désordres anthropiques, j’entends ce qui est le contraire de l'harmonie, condition du bien-être de l'humanité.

    Le monde nouveau, qui est un nouvel ordre, conduira tout simplement à un nivellement des altérités, des différences. Il nous faudra tous penser de la même manière sinon rien n’ira plus !

    En conclusion

    Nous avons opposé deux civilisations, celle qui s'est construite par le cœur et l'autre à venir qui s'imposera par la loi. L'une transforme de l'intérieur, l'autre façonnera de l'extérieur. L'une émancipe l'homme, l'autre le tyrannisera. A nous de choisir !

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  • Commentaires

    1
    Dimanche 17 Février 2013 à 14:32

    Excellent article. Je partage l'analyse concernant le changement de civilisation. Un livre m'a pas mal parlé à ce sujet : Les particules élémentaires de Michel Houellebecq. Son auteur évoque une "mutation métaphysique" pour parler de notre époque. Mutation qui trouve sa source dans le progrès technique qui a complétement bouleversé nos rapports sociaux.

    2
    Arnaud Baubérot
    Lundi 18 Février 2013 à 17:43

    Bonjour,

    Je suis historien et je trouve la "civilisation" dont vous parlez ici bien abstraite.

    "Notre" civilisation judéo-chrétienne "qui donne la primauté à la famille, à la recherche du bien, valorisant la morale (...) qui s’émancipe de la dépendance féodale ; une civilisation qui est attentive à ne pas faire souffrir, blesser, brimer" de quelles "générations qui nous précèdent" l'héritons-nous ? A quelle époque et dans quelles sociétés s'est-elle incarnée ?

    Est-ce la civilisation qui a façonné le Bas-Empire romain, l'Europe féodale, l'âge classique (grande époque de l'absolutisme et du commerce triangulaire), le 19e siècle industriel et colonial ?

    Je le dit sans animosité ni procès d'intention, mais il me semble que votre propos témoigne d'une conception téléologique et progressiste de l'histoire. Vous partez un modèle idéal et vous regardez le passé comme la progressive réalisation  de ce modèle, au mépris (c'est-à-dire non pas en méprisant mais en ne tenant pas compte) des réalités historiques complexes dans lesquelles ont pu vivre ces "générations qui nous précèdent".

    Je partage certaines des valeurs que vous défendez, mais je ne crois pas qu'aucune civilisation ne les ait jamais incarnées. La question n'est donc pas de lutter contre l'effondrement ou la décadence d'un monde qui n'a jamais existé réellement, mais de de participer à un débat, ici et maintenant, pour savoir ce que nous voulons faire du futur. Et, en l'espèce, notre responsabilité à l'égard d'un héritage imaginaire ne peut pas constituer un argument pertinent.

    Bien cordialement

    AB

    3
    Eric LEMAITRE
    Lundi 18 Février 2013 à 19:45

    Bonjour Arnaud,
    J'ai lu avec beaucoup d'intérêt votre propos et la lecture que vous produisez de cet article.. Je partage in fine votre analyse d'historien sur le concept de civilisation....Sans doute n'ai-je pas été suffisamment clair sur le développement donné à cette notion de civilisation...Alors si vous m'y autorisez pour lever l'ambiguité suite à l'écriture de cette réflexion...je souhaiterais revenir sur l'approche que je souhaitais faire ressortir...
    En premier lieu je n'ai pas de vision théocratique de l'histoire et d'ailleurs vous ne l'avez pas relevé dans mes propos...une vision sans doute providentielle je vous l'accorde, dans le sens ou le "sel de la terre" a été diffusée....et fut probablement impactante sur la construction des rapports, dans la mesure  ou l'avangile a été transmis.

    Dans cette dimension de civilisation (ce qui rend possible les relations aux autres), je souhaitais surtout faire ressortir le message évangélique à partir de l'une des paroles fondatrices du Christianisme  "Tu aimeras ton prochain comme toi même". Le christianisme dès lors incarne une dimension relationnelle, du rapport aux autres. Cette dimension relationnelle a inconstestablement impacté la vie sociale, nourri les liens tissés dans les voisinages, les quartiers, les cités et au-delà en influant l'occident.

    Le marquis de Mirabeau est le premier à avoir conceptualisé la notion de civilisation en insistant sur la confraternité et la sociabilité... Deux vertus de la civilisation éloignant les sociétés de la barbarie... Il n'est pas contestable que le judaïsme et le Christianisme civilisèrent en quelque sorte le monde des relations en humanisant les rapports aux autres (la grace, le pardon, la réconciliation ...)...

    Alors sans doute que l'approche relevée de la civilisation dite judéo-chrétienne doit être pondérée et réajustée, mais la force du Christianisme fut d'influer "l'homme" de l'intérieur sans s'imposer par la force de la législation....
    Merci pour ce commentaire dont j'ai pris note de sa pertinence et de son carctère juste. 

    4
    Eric LEMAITRE
    Lundi 18 Février 2013 à 20:02

    En complément de mon commentaire précédent...

    L'ère postmoderne d’une certaine façon participe au morcellement de l'individu, l’altérité disparait, l’identité est du coup déstabilisée, la civilisation construite sur la sociabilité se déstructure...Or le message de Christ s'inscrit à rebours de cette déstructuration, et ceux qui l'ont reçu, participent et s'impliquent à construire la relation aux autres.....cette civilisation autour de la relation, c'est que je souhaitais définir en complément de ce texte....

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