• Ce que l’histoire du Christianisme des trois premiers siècles nous apprend

    Un article d'Alain LEDAIN

    L’article qui suit fait suite à ma lecture du livre de Marie-Françoise Baslez « Comment notre monde est devenu chrétien » paru aux éditions CLD. L’auteure est professeure d’histoire des religions à l’université Paris-Sorbonne et spécialiste des religions du monde gréco-romain.

    Le titre de son livre peut sembler bien inapproprié dans une Europe qui rejette ses racines chrétiennes avec une ardeur qui ressemble à un déni de l’histoire.

    Ceci étant, au-delà du titre, j’ai beaucoup appris. Au cours de ma lecture, j’ai cherché ce que l’histoire du Christianisme des premiers siècles pouvait nous apporter. Je ne fus pas déçu : Comme nous allons le découvrir, nous partageons bien des points communs avec l’Empire Romain.

    Grâce au livre de Marie-Françoise Baslez, j’ai croisé de nombreux hommes qui ont participé à la construction de l’Eglise : l’apôtre Paul évidemment mais aussi Polycarpe, évêque de Smyrne formé par l’apôtre Jean, Clément,  évêque de Rome autour de la fin du Ie siècle, Ignace, évêque d’Antioche, l’avocat Tertullien de Carthage (ville tunisienne située au nord-est de Tunis), Cyprien, évêque de Carthage, Aristide d’Athènes, philosophe et apologète du IIe siècle, Polycrate, évêque d’Ephèse à la fin du IIe siècle, Irénée, évêque de Lyon ayant rencontré Polycarpe, Clément d’Alexandrie, Justin, philosophe et apologète de Naplouse, Denys, évêque de Corinthe vers 180… Citons aussi Perpétue et Félicité, deux femmes africaines martyres à Carthage en 203.

    On en arrive logiquement à se demander de quels types d’hommes et de femmes l’Eglise du XXIe siècle a besoin pour bouleverser de nouveau le cours de l’Histoire et vivre un réveil spirituel qui ne soit pas qu’un feu de paille. Je ne prétends pas apporter ici une réponse exhaustive et définitive.

    Ce questionnement, je l’espère, renverra chacun à lui-même, s’interrogeant sur sa vocation et y travaillant car, comme je l’ai déjà écrit, « Appelé » ne signifie pas « qualifié ».

    ***

    Dans un premier temps, nous découvrirons comment les chrétiens du IIIe siècle ont été rendus visibles aux yeux de leurs contemporains. Ensuite, nous irons à la rencontre de ces hommes de réseaux qu’étaient les évêques. Enfin, nous montrerons comment le contexte a favorisé l’expansion du Christianisme et la pensée de l’universalisme chrétien. La conclusion nous ramènera au XXIe siècle avec ses réseaux sociaux, avec vous, avec moi…

    ***

     (Dans ce qui suit, les numéros de pages sont ceux du livre de Marie-Françoise BASLEZ)

    La visibilité locale des chrétiens au IIIe siècle (p. 135 à 154)

    Au IIIe siècle, la visibilité locale du Christianisme était assurée par la présence sociale des chrétiens, l’institution d’un système d’éducation chrétienne pour investir le monde des notables, le témoignage visuel du martyre. Développons :

     1. La présence sociale des chrétiens

    Elle se pratiquait à travers le développement de leurs œuvres d’entraide et des structures communautaires.

    L’Eglise de Rome, par exemple, devait son rayonnement international à l’efficacité de son système d’entraide. À la fin du premier siècle et au milieu du second, l’église de Corinthe était reconnaissante à celle de Rome de la soutenir par l’envoi régulier de subventions ensuite redistribuées sur place au bénéfice des indigents. (p. 137)

    A l’intérieur de l’Eglise locale, les formes d’entraide et de redistribution n’avaient pas changé depuis Paul (aide aux veuves et aux indigents notamment). (p. 138) Selon une lettre de son évêque Corneille (251-253), l’Eglise de Rome comptait plus de 1500 veuves et indigents recevant des secours.

    L’église apportait aussi son aide aux prisonniers et aux déportés chrétiens par des visites et des subsides. (p. 138)

    C’est au milieu du IIIe siècle que l’entraide va s’étendre hors de la communauté chrétienne à tous ceux qui étaient dans le besoin.

    Pour un évêque d’Alexandrie, l’entraide qui devait s’étendre aux non-croyants, est un moyen de montrer la différence chrétienne. Lors de l’épidémie de 251, beaucoup de chrétiens, écrit-il, trouvèrent la mort en visitant les malades, en faisant la toilette mortuaire et en ensevelissant les morts, alors que « la conduite des non-chrétiens était tout le contraire : on chassait ceux qui commençait à être malades ; on jetait dans les rues les gens à demi-morts ; on mettait au rebut des cadavres sans sépulture ; on se détournait de la transmission et du contact de la mort ». (p. 139)

    En période de persécution, les communautés jugeront leurs responsables (évêques, diacres et sous-diacres) suivant la manière dont ils ont rempli leur devoir d’entraide et leur fonction de redistribution. (p. 140)

     2. L’apologétique et l'institution d’un système d’éducation chrétienne pour investir le monde des notables

    Le christianisme commence de s’exprimer dans l’espace public par la littérature apologétique, c’est-à-dire la littérature qui défend le christianisme et présente l’action des chrétiens comme un service public. (p.142)

    Ainsi, Tertullien est un apologète remarquable né à Carthage vers 160. Il reçut une forte éducation littéraire, étudia les poètes grecs et latins, les philosophes et les historiens. Il s'adonna particulièrement au droit romain et devint peut-être avocat ou rhéteur (« maître d'éloquence » au style percutant). Homme érudit et fervent, il mit ses talents d’écrivain au service de la foi. (Source : http://www.tertullian.org/french/apologeticum.htm)

    Voici quelques extraits de son « Apologétique » (Source : http://www.tertullian.org/french/apologeticum.htm) :

    «  Voici donc le premier grief que nous formulons devant vous [magistrats de l’empire romain] : l'iniquité de la haine que vous avez du nom de chrétien. Le motif qui parait excuser cette iniquité est précisément celui qui l'aggrave et qui la prouve, à savoir votre ignorance. Car quoi de plus inique que de haïr une chose qu'on ignore, même si la chose mérite la haine ? » (I, 4)

     « 2 Quand d'autres sont accusés de tous ces crimes dont on nous accuse, ils peuvent […] prouver leur innocence; ils ont toute liberté de répondre, de répliquer […] 3 Aux chrétiens seuls, on ne permet pas de dire ce qui est de nature à les justifier, à défendre la vérité, à empêcher le juge d'être injuste ; on n'attend qu'une chose, celle qui est nécessaire à la haine publique : l'aveu de leur nom et non une enquête sur leur crime. » (II, 2-3)

     …

     « Je crois avoir assez prouvé la fausseté de vos dieux et la vérité du nôtre … » (XXV, 1) « Ce que nous adorons, c'est un Dieu unique, qui, par sa parole qui commande, par son intelligence qui dispose, par sa vertu qui peut tout, a tiré du néant toute cette masse gigantesque avec les éléments, les corps, les esprits qui la composent, pour servir d'ornement à sa majesté […] » (XVII, 1)

     « […] nous autres, nous invoquons pour le salut des empereurs le Dieu éternel, le Dieu véritable, le Dieu vivant, que les empereurs eux-mêmes veulent se rendre favorable… «  (XXX, 1)

    L’« Apologétique » révèle aussi ce que vivait l’Eglise :

    « 5 […] il existe chez nous une sorte de caisse commune […] Chacun paie une cotisation modique, à un jour fixé par mois, quand il veut bien, s'il le veut et s'il le peut. Car personne n'est forcé; on verse librement sa contribution. C'est là comme un dépôt de la piété. 6 En effet, on n'y puise pas pour organiser des festins ni des beuveries, ni de stériles ripailles, mais pour nourrir et enterrer les pauvres, pour secourir les garçons et les filles qui ont perdu leurs parents, puis les serviteurs devenus vieux, comme aussi les naufragés ; s'il y a des chrétiens dans les mines, dans les îles, dans les prisons, uniquement pour la cause de notre Dieu, ils deviennent les nourrissons de la religion qu'ils ont confessée. 7 Mais c'est surtout cette pratique de la charité qui, aux yeux de quelques-uns, nous imprime une marque spéciale. « Voyez, dit-on, comme ils s'aiment les uns les autres », car eux se détestent les uns les autres ; « voyez, dit-on, comme ils sont prêts à mourir les uns pour les autres », car eux sont plutôt prêts à se tuer les uns les autres. » (XXXIX)

    ***

    Tertullien était un intellectuel  et le but des intellectuels chrétiens était de faire accepter le Christianisme religion décrétée illégale et de promouvoir un modèle de notable chrétien au service de la cité. (p. 142)

    ***

    Sinon l’apologétique, à Alexandrie, dans la deuxième moitié du IIe siècle, fut réfléchi le premier système d’éducation chrétienne. C’est là que se constitua la première formation chrétienne d’intellectuels et de notables en établissant une passerelle entre culture classique et christianisme et en se donnant des règles de comportement chrétien en société. (p. 142 et 143)

    L’école chrétienne d'Alexandrie fut animée par Clément (d’Alexandrie). De l’œuvre de Clément, le Pédagogue expose la manière d’être chrétien en société et les Stromates consistent à discuter avec les chrétiens timorés ou conformistes, en affrontant la question de la vérité, de la connaissance, du martyre et du véritable témoignage chrétien. (p. 143)

    On est « philosophe et chrétien », « notable et chrétien »… choix inconfortable et risqué puisqu’on est « dans le monde » sans être « du monde ». (p. 144) Mais, être le sel de la terre, ne nécessite-t-il pas de sortir de la salière ?

    Il existe aussi une autre manière de se donner à voir…

     3. Le témoignage visuel du martyre

    Il se rend par le choc de l’image dans une culture du spectacle qui marque l’époque. L’impact visuel était important (bûcher, pal, crucifixion). (p. 149)

    Les chrétiens exécutés avaient conscience de vivre un moment privilégié où ils pouvaient communiquer quelque chose de fort au plus grand nombre. Le Colisée, par exemple, avait une capacité de 50 000 personnes… Et, comme l’a constaté Tertullien, « Le sang des martyrs est semence de chrétiens. » (Apologétique, chapitre 50)

    Les chrétiens ne s’intéressaient pas à l’héroïsme individuel. Un martyr ne mourrait jamais seul. Il s’identifiait par son appartenance à un petit groupe qui se soutenait et s’entraidait jusqu’au bout, en renvoyant au public l’image d’une communauté solidaire. (p. 151)

    A noter que les persécutions avaient toujours une cause et un caractère local jusqu’en 250. Les raisons pouvaient en être la diminution du gagne-pain des marchands des temples, les convertis n’achetant plus la viande des animaux sacrifiés, la désignation des chrétiens comme boucs émissaires face à une grande épidémie de peste ou toute autre manifestation populaire entrainant un « trouble de l’ordre public ». C’est ainsi que Polycarpe, âgé de 86 ans, fut brûlé vif le 23 février 167 après la manifestation d’une foule hostile.

    « Plus on fait de martyres, plus on fait de chrétiens. Cette force ne vient pas de l'homme ; le doigt de Dieu est là ; tout ici proclame son avènement. » écrira l’auteur anonyme de la lettre à Diognète vers 160.

     Quels types de dirigeants ? Le réseau des évêques (p. 118 à 125)

    Aux premiers siècles de notre ère, on appelait « évêque » un dirigeant de l’église. Dans le premier verset du troisième chapitre de la première épître de Paul à Timothée (1 Ti 3 : 1), le mot grec utilisé est « episcopos », « surveillant » (« veillant sur… ») : « Cette parole est certaine : Si quelqu'un aspire à la charge d'évêque, il désire une œuvre excellente. » (Traduction Louis Segond)

    Parce que les groupes de chrétiens étaient dispersés et géographiquement éloignés, les évêques avaient le souci de la communication.  Ils écrivaient beaucoup : Dans une lettre à l’évêque de Rome, Polycrate, évêque d’Ephèse né vers 130, se dit « en relation avec les frères du monde entier ». (p. 120)

    L’Eglise était un réseau de maisonnées qui, à défaut d’emails, s’écrivaient et lisaient.

    Aux IIe et IIIe siècles, les évêques sont des personnalités reconnues dans leur cité (Cyprien de Carthage fut traité comme un notable par les autorités romaines). Ils utilisent leurs relations locales avec le milieu des notables mais ils ont aussi une stature internationale. Ils voyagent beaucoup et tissent des liens internationaux forts par l’hospitalité et la correspondance.

    Les évêques sont des hommes de réseaux et c’est donc par eux que vont se construire l’unité et la communion des communautés. Ils ont le souci de transmettre ce qu’ils savent.

    Ils joueront donc un rôle déterminant dans la construction de l’Eglise car ils sont des gestionnaires, des intellectuels et des gens mobiles. (p. 125)

    Leur point de vue ne se limitant pas à l’horizon de leur communauté ou de leur cité, ils purent penser et vivre l’universel.

    Universalisme et Christianisme – Un contexte favorable : L’empire romain

    Avec l’Empire romain, on vivait une première expérience de la mondialisation. Le monde était pensé comme un tout.

    Comme il était nécessaire de stabiliser le pouvoir, il fallait améliorer la communication entre Rome (le centre du pouvoir), et les populations locales. Le travail de communication ne se réduisait pourtant pas à la construction des fameuses routes romaines ! Y participaient aussi les voyages officiels, les fêtes du culte impérial, la circulation de l’écrit et l’apprentissage des langues (les gouverneurs devaient parler la langue ou le dialecte de leurs administrés.)

    Comme le firent plus tard les évêques, l’apôtre Paul tint parti de son contexte. Il était polyglotte : Il parlait hébreu en famille et le grec du monde des affaires et de la culture. Il était fort de cet atout multiculturel. Il pouvait donc appréhender l’universalité du salut en Jésus-Christ et la dissociation entre religion et culture.

    Cette dissociation était très novatrice. Elle inaugurait l’inculturation du Christianisme.

    En effet, dans l’Empire romain, la religion renvoyait à l’idée de « lien ». En honorant communautairement ses « dieux ancestraux » selon les « rituels ancestraux », on donnait à la religion la fonction essentielle de créer du lien social en assurant la cohésion de la famille, de la tribu, du quartier, de la profession, de la cité. Ici, point d’universalité. Le groupe restait soudé autour de ses dieux ancestraux à travers des rituels collectifs intangibles. Il y avait « nous et les autres ».

    Les cultes de Rome et de l’empereur (soit par une libation de vin, soit par un sacrifice d’animal, soit par l’encens brûlé sur l’autel) vont tenter d’atteindre une portée ‘universelle’ et favoriser la cohésion de l’Empire, notamment face aux menaces barbares du IIIe siècle. C’est ce qui déclenchera une première persécution généralisée des chrétiens à partir de l’an 250 par l’empereur Dèce : si les dieux ne protègent plus l’empire de Rome, c’est que leur paix a été rompue par une secte impie qui ne les honore pas.

    Dans ce contexte religieux, Paul va exprimer une pensée réellement universaliste : « Il n'y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni libre, il n'y a plus ni homme ni femme; car tous vous êtes un en Jésus Christ. » (Ga 3 : 28) Il casse ainsi le « moi et l’autre », le « nous et les autres » dans lequel l’humanité se trouvait divisée en deux parties : Israël et les nations, les Grecs et les barbares…

    Pour Paul, religion et culture sont distinguées. On peut être chrétien et circoncis, chrétien et  incirconcis, en gardant les coutumes de la culture juive ou grecque.

    Et au plan politique, alors que l’empire romain conçoit une citoyenneté universelle étendue à tous les habitants  de l’empire où qu’ils vivent, Paul formule l’universalisme du Royaume de Dieu : un seul Dieu pour tous, un seul sauveur pour tous, un seul salut pour tous.

    Les leçons à tirer

    Revenons à la question de la visibilité.

    Les « œuvres sociales de l’Eglise » ont été sécularisées, reprises par l’Etat. Par exemple, l’aide aux pauvres. Mais comment se satisfaire de cette solidarité exercée d’en haut via l’Etat ? Solidarité qui ne tisse pas de lien mais laisse le bénéficiaire dans sa solitude ; bénéficiaire qui ne perçoit plus cette solidarité comme un acte de générosité mais comme un dû. Le bénéficiaire méprise le contribuable qui a le privilège de payer et d’afficher ainsi sa supériorité. Le contribuable méprise le bénéficiaire, ce profiteur qui l’oblige. Contribuable et bénéficiaire ne se connaissent pas, non d’autre relation que l’Etat. Une solidarité sans amour est froide, vide et n’aide pas à faire société. Dans ce contexte, l’Eglise est appelée à « montrer la différence chrétienne » en inventant de nouvelles solidarités fondées sur la proximité, le lien et la restauration intégrale de la personne. Ces temps qui s’annoncent difficiles sont une opportunité pour l’Eglise de dévoiler le visage de Jésus-Christ et son amour pour ceux qui se sentent faibles, exclus ou méprisés.

    Ce que j’ai écrit ci-dessus a été repris dans les « Matinales chrétiennes » de La Vie le 07 novembre 2012 dans un article intitulé « Les paroissiens au secours des SDF du 93 ».
    Extrait : « Alors que le Plan d'urgence hivernal est entré en vigueur depuis le 1er novembre […], les premiers indicateurs sont au rouge vif: il semble […] que l'offre d'hébergement d'urgence soit moins que jamais adaptée au nombre croissant de personnes sans logement. […] La nouveauté en Seine-Saint-Denis consiste à demander aux paroissiens eux-mêmes de se transformer, un hiver durant, en bénévoles afin de nourrir les bénéficiaires et de participer à l'entretien des locaux [les accueillant]. Les réactions de ces paroissiens […] sont plutôt positives. »

    ***

    Dans un article du Parisien du lundi 03 décembre 2012 :

    Extrait : « La nuit dernière, en France, des centaines de SDF ont été condamnés à cauchemarder dehors, faute d’avoir pu trouver une place dans un centre d’hébergement. L’urgence est à la mise à l’abri […] Pour tenter d’y parvenir, la ministre du Logement, Cécile Duflot, annonce dans nos colonnes qu’elle en appelle à la solidarité de l’église. […][Ce qui a très justement provoqué une polémique, l’Eglise ayant une tradition de charité et d’hospitalité.]
    Elle vient d’écrire à l’archevêché de Paris, lui demandant de mettre à disposition certains de ses bâtiments non utilisés.[…]
    En Seine-Saint-Denis, l’Eglise n’a pas attendu la sollicitation gouvernementale pour décider d’ouvrir ses portes aux exclus de la rue. Six paroisses, sous l’impulsion du Secours catholique, s’apprêtent en effet, pour la première fois, à offrir dans leurs murs le gîte et le couvert à des sans-abri. Pour que notre République laïque en vienne à lancer un SOS au « clergé », c’est que la situation est grave, très grave. »

     Montrer la différence chrétienne consistera aussi à aller là où l’Etat est dépassé et là où ses réponses sont insatisfaisantes. Où sont ces lieux ? Dans certaines de nos banlieues ? Dans l’Education ? Dans celui de la fin de vie ?... Quand l’Etat-providence sera en faillite, qui portera secours aux populations désemparées ?

    Comme Eric Lemaitre, « je crois à l'Eglise hors de ses murs et à une Eglise qui encourage l'inventivité et la créativité de ses membres pour être force de propositions et d’actions sociales. » Comme Raymond Pfister, « je crois en une Eglise qui ne se définit pas par ses murs, mais par ses membres », des membres sortant de leur salière pour être le sel de la terre.

    Il me semble que certains milieux évangéliques ont pris un retard considérable dans la réflexion sur les problèmes sociétaux car pour ces milieux, réfléchir c’était devenir moins spirituel. Sans doute une réaction à l’intellectualisme protestant libéral…

    Et pourtant, une formation intellectuelle solide est impérative pour influencer les politiques et les médias. Nos amis catholiques l’ont bien compris. Ils ont entre autres fondé le collège des Bernardins qui se définit comme « un lieu de débat et de recherche pour l’Eglise et la société », les Instituts Catholiques qui sont des facultés, instituts et écoles supérieures pluridisciplinaires, l’Institut Politique Léon Harmel qui propose deux formations de troisième cycle universitaire en Sciences Politiques et en Bioéthique…

    J’écris cela en espérant susciter une saine jalousie. Il faut en être persuadé : L’expression dans l’espace public ne se fait pas n’importe comment. Pour être entendu, il faut être pertinent et crédible. Et pertinence et crédibilité nécessitent travail et écoute du Saint-Esprit.

    Dans les milieux évangéliques, saluons l’Université des Nations créée au sein de Jeunesse En Mission, une université à caractère international, conçue pour aider les jeunes à acquérir des compétences professionnelles afin de contribuer efficacement à répandre le Royaume de Dieu. Parmi ses secteurs de formation : les arts, la communication, la relation d’aide et les soins médicaux, l’éducation, les sciences humaines et internationales, la science et la technologie.

    Saluons aussi de l'Institut de Développement, de Recherche et de Réconciliation qui se veut « une contribution chrétienne en vue d’une réforme personnelle et sociale » et souhaite « alimenter la réflexion des acteurs sociaux, et intervenir dans le débat public. »

    Il ne faudrait pourtant pas se méprendre et n’en rester qu’à la sphère des idées, même belles et très bonnes. Les initiatives originales, l’expérience, la démonstration par le vécu et les actes sont essentiels. Ils nourrissent et crédibilisent les pensées qui, dans un cercle vertueux, interrogent à leur tour l’expérience et l’approfondissent. Dans ce processus, chacun peut y trouver sa place : acteurs et penseurs chrétiens.

    ***

    Enfin, et même si la visibilité par le martyr n’est pas encore d’actualité dans notre pays, il nous faut rompre avec la figure du héros solitaire, du Spiderman ou du Batman spirituel qui suscite un réveil… qui mourra avec lui. Se peut-il que l’individualisme nous ait marqués à ce point ? Il faut retrouver le sens de l’Eglise comme d’une communauté, comme d’un corps, celui du Christ.

    ***

    J’en reviens maintenant à la figure des évêques des premiers siècles pour en actualiser quelques traits.

    Les évêques, des hommes de réseau.

    Aux premiers siècles, les chrétiens étaient géographiquement éclatés. Aujourd'hui, ils sont ‘dénominationnellement’ éparpillés. L'Eglise a besoin d'hommes et de femmes d’unité et de réseaux allant au-delà des barrières intra et inter-dénominationnelles. Comme me l’écrivait Raymond Pfister, Directeur-Fondateur d’ICHTHUS 21 - Institut Européen d'Etudes pour la Ré/conciliation, « il faut une œuvre nouvelle de l'Esprit pour abattre tous ces murs que l'on a construit avec tant de zèle et d'ardeur au fil des siècles. »

    Néanmoins, l’attente de l’ « œuvre nouvelle de l’Esprit » ne doit pas nous amener à la passivité. Les réseaux sociaux, dont on pourra toujours dire qu’on y trouve de tout, peuvent être de puissants outils de communication, d’unité et de travail. Ils permettent d’une part le tissage d’une toile relationnelle, amicale et fraternelle dépassant les cadres institutionnels et nationaux de nos églises locales et d’autre part le discernement du Corps du Christ dans son universalité.

    ***

    Comme je parle rarement de moi, il m’est d’autant plus facile de le faire ici afin de vous apporter mon expérience qui ne se veut nullement normative.

    Mon profil Facebook est public. Toute personne inscrite sur ce réseau peut consulter mes publications, y réagir mais ne peut écrire sur mon mur. Sur ce dernier, je n’y partage pas ma vie privée sachant que je suis dans un espace public : il y a une certaine impudicité à éviter. Par contre, j’y publie de nombreux extraits de mes articles, ce qui ne manque pas de susciter des conversations qui nourrissent et affinent ma pensée et de créer des relations, je vais y revenir. Je relaie aussi d’autres articles dont j’encourage les auteurs par mes ‘J’aime’.

    De nombreux contacts se sont noués avec le temps.

    Parmi mes amis Facebook, je compte Hubert Houliez. Il y a un peu plus de deux ans, nous décidions de nous téléphoner. Hubert est professeur de philosophie à l’Institut Catholique de Lille mais j’ai surtout découvert en lui un très cher frère. Plusieurs fois, je suis monté à Lille pour vivre des « échanges incarnés » avec Hubert.

    Durant ce mois de novembre, je devrais passer un weekend à Reims chez un autre ami Facebook, Eric Lemaitre, en vue de travailler à notre communion fraternelle et à la mise en place d’un réseau de travail autour des questions éthiques, sociales et économiques.

    Je pourrais aussi vous entretenir de ma rencontre avec Natalia Trouiller, une amie Facebook journaliste chez RCF (Radios chrétiennes francophones) et La Vie, chez laquelle ma femme et moi sommes invités lors de notre prochain séjour sur Lyon ; de ma rencontre avec Valérie Barbe, amie Facebook chroniqueuse sur son Blog Jonas Tree

    Je crois en la fécondité des relations, à l’importance de la rencontre incarnée avec des hommes et des femmes clés. Puissions-nos aussi l’être pour d’autres !

    Faute d’être comme Polycrate d’Ephèse, « en relation avec les frères du monde entier », humblement et sans cacher mon engagement évangélique, je tisse une toile amicale et fraternelle qui m’aide à appréhender le Corps du Christ dans sa globalité. Facebook et le TGV m’y aident, le Seigneur aussi bien sûr.

    ***

    Abordons maintenant la mondialisation dont on a vu que Paul en a utilisé une première version pour propager l’Evangile. Dans le cadre de cet article, il est impossible d’en aborder tous les aspects, si tant est qu’on puisse le faire. En fait, nous n’allons que l’effleurer.

    Rappelons que la mondialisation est « l’intégration sans cesse croissante des économies nationales dans l’économie mondiale » (selon Colin Hines). Sa dimension économique est donc la plus évidente. Ses valeurs se concentrent autour du profit par le libre-échange. La mondialisation ne s’arrête pourtant pas là : sa dimension culturelle est omniprésente. Et cette dimension est entre autre caractérisée par l’uniformisation des cultures et la compétition.

    Comme William CAVANAUGH, penseur et théologien catholique, je crois que notre foi offre une alternative, un moyen de résistance à cette mondialisation là. Nous avons à vivre l’Eglise universelle comme signe d’une « autre » mondialisation, une mondialisation fondée sur l’amour du Christ : Nous, « gens de toute nation, de toute tribu, de tout peuple, de toute langue », avons à vivre concrètement l’unité dans la diversité et la solidarité. Ce n’est pas si simple…

    A l’uniformisation des cultures produites par la mondialisation, le Corps du Christ répond par l'unité dans la diversité. Pour nous occidentaux, c’est admettre qu’il ne peut pas y avoir que notre seule culture européenne d’église, que notre seul style de chants… L’Eglise, ce n’est pas une société uniforme. Au contraire ! Par ses relations, l’Eglise doit célébrer la diversité, la revendiquer même et travailler à son unité à cause de ses différences (Source d’inspiration : Etienne Atger – Il me semble que… L’Eglise – © Décembre 2011) Même si les cinq ministères cités dans l’épître aux Ephésiens (Ep 4) – les apôtres, prophètes, évangélistes, pasteurs et docteurs – ont un rôle particulier à jouer dans « l’unité de la foi » (Ep 4 : 13), les moyens de communication, d’information et les facilités à voyager responsabilisent beaucoup d’entre nous (ne serait-ce qu’en restant informés et en priant).

    Quant à la solidarité internationale, nous en avons un exemple biblique par la collecte en faveur des chrétiens de Jérusalem (2Co 8 et 9). Les églises de Macédoine demandèrent la faveur (en grec charis, grâce) de prendre part (en grec koinônia, communion) à l’assistance (en grec diakonia, service) de ceux qui, à Jérusalem, appartenaient à Dieu (2Co 4 : 4). A la compétition induite par la mondialisation, opposons, par la générosité, par des partenariats entre églises du Nord (Europe, Etats-Unis) et églises du Sud, notre souci pour les autres, notre unité, notre communion, c’est-à-dire notre participation au même Corps du Christ… avec humilité, en ayant intégré que la majorité des chrétiens n’habitent plus nos pays du Nord et étant ouverts à la contribution spirituelle des Eglises du Sud qui apportera de nouvelles manières de voir Dieu et l’Evangile par ses perspectives culturelles différentes des nôtres.

    La mondialisation est aussi un contexte qui facilite l’appréhension et la mise en œuvre du grand ordre de mission : « faire de toutes les nations des disciples. » (Mt 28 : 19)

    Pour terminer

    Comme souvent, il est impossible de conclure. L’avenir est ouvert et nous y avons une part de responsabilité… même si notre vocation n’est pas celle d’être évêque.

    Ce que l’histoire du Christianisme des trois premiers siècles nous apprend ? Entre autres qu’il faut retrouver le sens de l’Eglise dans sa dimension universelle et travailler à son unité, qu’une menace aux portes de l’empire globalisé appelé « mondialisation » pourrait provoquer une persécution généralisée. Les chrétiens ne risquent-ils pas de redevenir des boucs émissaires, eux qui ne sacrifient pas à l'argent et aux pensées libertaires ?...

    Au travail et à la prière ! 

    Les sources

    Comment notre monde est devenu chrétien – Marie-Françoise Baslez : http://www.laprocure.com/monde-est-devenu-chretien-marie-francoise-baslez/9782757816653.html

    Saint Paul, apôtre de l’unité dans un monde fragmenté http://henry.quinson.pagesperso-orange.fr/Paulunite.pdf

    Paul un homme de l’empire  http://www.terreentiere.com/MEDIAS/pdf/croisieres/M_F_Baslez_Paul_un_homme_empire.pdf

    Mondialisation - Ruth Valerio : http://www.christnet.ch/sites/default/files/Mondialisation_Valerio.pdf

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